Note : Cet article est le premier d'une série consacrée à l'expérience client en point de vente. Nous explorons ici la notion de ROI et l'importance de la quantification réelle.
Lorsqu'on discute avec des patrons de magasins de différentes enseignes à travers la France, on entend une inquiétude légitime dont les médias se font écho depuis longtemps. Certes l'e-commerce est perçu comme un danger, mais les solutions pour faire face aux challenge du retail moderne semblent elles-mêmes dangereuses. Les managers ont le sentiment qu'il faut investir de plus en plus dans des techniques de marketing de plus en plus onéreuses, de plus en plus techniques, dont l'efficacité est parfois bien difficile à mesurer avec le fameux "ROI" (return on investment) marketing, cet indicateur brandi dans les réunions comme un sort magique sorti tout droit d'un conte d'Harry Potter. Tout cela fait beaucoup d'incertitudes.
Quel investissement pratiquer ?
Faut-il dépenser des milliers d'euros dans de l'affichage dynamique, dans des écrans professionnels coûteux, dans une re-décoration du magasin, dans une nouvelle enseigne, dans la formation des vendeurs, faut-il ajouter des écrans tactiles, des tapis lumineux, des miroirs interactifs dans les cabines d'essayage, des lunettes 3D ? Il est vrai que lorsque l'on parcours les allées du salon Integrated Systems Europe qui se tient chaque année à Amsterdam (le prochain a lieu du 5 au 8 février 2019) et qui se consacre aux technologies digitales, on est bombardé d'écrans au sol, au plafond et sur les côtés et de dispositifs de toutes sortes qui promettent monts et merveilles.
La déferlante numérique
Le salon de la National Retail Federation qui se tient du 13 au 15 janvier prochains à New York ne devrait pas échapper à cette déferlante numérique, et ajoutera peut-être encore à la confusion des patrons de magasins. Est-il surprenant que l'une des conférences mise sen avant sur le site de la NRF soit celle de Scott Galloway intitulée "L'impact de la Big Tech"? (Note : Professeur à la NYU Stern School of Business, entrepreneur et auteur de livres qui ont figuré sur la liste des best sellers du New York Times, Scott publie des chroniques telles que Winners & Losers in the Digital Age qui sont très intéressantes : si vous parlez anglais n'hésitez pas à vous inscrire pour les recevoir gratuitement. ) Bref, le magasin de demain sera digital ou ne sera pas, mais cela on le savait depuis longtemps. Il faut donc investir dans la technologie. "Investir dans la technologie" ? Voilà le genre de phrase trop vague que l'on entend souvent au gré des rencontres avec des vendeurs de solution.
Un investissement adapté
La réalité ce n'est pas qu'il faut investir dans la technologie : mais qu'il faut investir dans les éléments susceptibles d'attirer les clients et de les faire se sentir bien. De toute évidence, si votre verticale c'est la viande pas cher en volume et que vous êtes situé en zone rurale vous n'aurez pas besoin d'investir des sommes énormes dans de l'affichage dynamique ou de la visualisation 3D : un éclairage adapté pour donner une belle couleur à la marchandise, des prospectus en boite aux lettres dans la zone de chalandise pour faire part de la dernière promo sur le gigot d'agneau, et le tour est joué. Les bonnes vieilles recettes marchent parfois. Même si on n'est pas là sur un commerce avec des perspectives de croissance fabuleuses : d'après le Washington Post, on consomme de plus en plus de repas sans viande, même sans être végétarien : l'institut Gallup explique que le marché des aliments végétariens a connu une croissance de 8,1% en 2016, dépassant 3,1 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Faut-il que les boucheries adoptent des solution technologiques, ou plus prosaïquement qu'ils ajoutent un rayon de steaks vegan à base de soja, comme le fait déjà Carrefour, pour permettre à toute la famille de se nourrir selon ses goûts ?
Le calcul, la vraie réalité du ROI
Il existe de nombreuses possibilités de dépenser son argent pour tenter d'améliorer la performance du magasin, mais il existe une seule façon d'aborder ces possibilités : c'est par le ROI. Mais le retour sur investissement n'est pas une chimère que l'on appelle de ses voeux : c'est un élément qui se calcule et se prépare. Le web regorge d'articles du type "utilisez la réalité virtuelle pour augmenter votre ROI", qui vont aborder la question du point de vue des avantages perçus de la réalité virtuelle mais aucunement du point de vue du ROI. C'est ennuyeux, parce que vraiment quand on parle de ROI on parle en réalité de chiffres. On entend aussi souvent en réunion des phrases du type "notre ROI sur telle solution est vraiment très bon", mais lorsque l'on demande à notre interlocuteur de préciser combien, on s'entend répondre "je ne sais pas combien exactement, mais c'est beaucoup". C'est un peu comme si vous conduisiez votre voiture en roulant à peu près à la vitesse limite, sans compteur de vitesse. Effectivement vous ne saurez pas à combien vous roulez, probablement même pas à peu près. Lorsqu'on parle ROI, on parle chiffres.
Commencez par "I"
Comment procéder ? Lorsque vous étudiez un projet marketing, séparez les coûts en trois catégories : coûts d'achat (généralement le matériel, par exemple dans le cadre d'une radio in-store les hauts-parleurs, le caisson de basses, l'amplificateur numérique, le câblage... éventuellement la fabrication d'une radio spécialisée pour votre enseigne), coûts d'installation (un électricien, une nacelle pour monter en hauteur etc) et enfin coûts récurrents (l'abonnement mensuel à la radio d'enseigne). Idéalement, si vous êtes versé en finance (et en technologie) vous évaluerez le TCO (total cost of ownership, ou coût total de possession) qui mesure combien cela coûte de posséder telle ou telle solution, sur toute sa durée de vie.
Attaquez-vous à "R"
Ensuite, puisque vous disposez maintenant du "I" de ROI, c'est à dire l'investissement, il reste à évaluer le "Retour" de l'investissement. Cela peut se traduire par des ventes en croissance bien sûr, mais c'est un indicateur final. Préférez vous concentrer sur le temps que les clients passent en magasin, sur la performance des vendeurs et la croissance de la productivité en général, par exemple une accélération du temps de passage en caisse ou une réduction de la démarque inconnue. Tout cela se réfléchit. Dans le cas d'une radio in-store par exemple, on évalue l'impact de la musique et des annonces sur le comportement du consommateur, l'influence de cet impact sur le chiffre d'affaires, mais aussi l'impact sur la productivité du personnel de vente ou sur la reconnaissance de la marque à travers tous les points de vente de l'enseigne.
Mesurez, il en restera toujours quelque chose
Mesurez, mesurez, mesurez. Car le gros problème du terme ROI tel qu'on l'entend, c'est que trop souvent il ne veut rien dire parce qu'il ne repose sur aucune mesure concrète. Il est indispensable de réfléchir en amont aux indicateurs de la performance, et de déterminer quels indicateurs on va vouloir obtenir, comment on va les obtenir et les traiter, donc d'effectuer une collecte d'information à posteriori.
Toujours dans notre exemple de radio d'enseigne, lors du passage en caisse, que le personnel demande aux clients s'ils ont apprécié la musique ou s'ils ont identifié et retenu un message, voire soumette un questionnaire très rapide en 3 ou 4 questions. Le résultat c'est un indicateur de satisfaction moyen, qui permet de savoir si la nouvelle solution (ou la solution en test) apporte quelque chose. Bien sûr, c'est une solution à l'ancienne un peu fastidieuse, il existe des moyens plus modernes de mesurer la satisfaction client, à l'instar des systèmes qui analysent le parcours client en magasin et déterminent les qualités d'interaction, mais ces systèmes nécessitent eux-mêmes une analyse de ROI ! C'est pourquoi les solutions à l'ancienne ont du bon. Un exemple : les entreprises ont fréquemment des demandes de stages : plutôt que de refuser, ou de faire faire le café et les photocopies à votre stagiaire, demandez-lui de se poster à l'extérieur du magasin et de poser 3 questions aux clients qui en ressortent. Une petite réunion préparatoire et au bout d'une semaine vous aurez un indicateur intéressant.
Idéalement, l'approche qui consiste à déterminer les indicateurs du succès devrait être pratiquée avant l'installation de la nouvelle solution afin de pouvoir comparer avec l'état précédent. Ensuite, lorsqu'on connaît la variation de la satisfaction client relative en fonction du système, on évalue l'impact financier. Si ma nouvelle radio d'enseigne apporte un sentiment de confort client en hausse de 3 points, en combien de points de croissance cela se traduit-il sur mes ventes par mètre-carré ?
Prenez le temps d'analyser
L'analyse se fait sur une période suffisamment prolongée (particulièrement dans les commerces qui connaissent une fréquentation avec des pics de saison) pour pouvoir en estimer l'impact. Si je sais que 3% de hausse de confort client apporte une hausse de 1,2% de mon chiffre, avec un coût d'achat de 2000 euros, une installation à 600 euros et un coût annuel de 950 euros, alors je suis capable de dire si le jeu en vaut la chandelle. Inconvénient, cette analyse ne peut se faire qu'après coup, mais elle permet de se débarrasser en avance de phase des investissements qui ne sont pas efficaces.
Si je fais appel à un prestataire pour créer, enregistrer et diffuser des messages audio dans mon point de vente et que l'impact sur les ventes est à peu près nul, autant se séparer de la dépense aussitôt que possible.
Attention cependant, certains éléments du ROI ne se traduisent pas par des chiffres à court terme : l'image de marque et l'acquisition client, par exemple, sont des éléments à moyen terme auxquels la solution peut concourir, et si vous diffusez une radio qui petit à petit engage la clientèle, vous aurez un ROI mesurable mais sur une durée plus longue. Reste que l'on est en droit de s'attendre à un ROI minimal en-dessous duquel il n'est pas utile d'investir.
L'effet boule de cristal
Mais tout ceci est une analyse a posteriori. Existe-t-il un moyen de calculer le ROI avant de lancer le projet ? Hélas, pas vraiment. Déterminer le ROI d'une solution marketing est un art difficile puisqu'il s'agit de deviner l'avenir. La meilleur façon d'aborder le sujet, c'est de considérer deux solutions différentes. Par exemple, radio in-store contre affichage dynamique, ou caméras de surveillances contre tags électronique EAS/RFID. Au final, il importe de se souvenir que l'on ne cherche pas à maximiser le ROI marketing mais que l'on cherche à maximiser le profit. Maximiser le profit, ce n'est pas forcément maximiser le ROI, parce que certaines solutions ont un ROI faible mais sont d'ordre stratégique. Mais pour le savoir, pensez à mesurer !
Le prochain article sera consacré à quelques exemples de ROI marketing dans le retail, ainsi qu'aux indicateurs que l'on peut sélectionner.